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INSTALLATION Devenues chefs d'entreprise, elles mutualisent moyens et compétences

Paysagistes indépendantes, Christelle David (à gauche) et Claire Dugard se sont retrouvées autour d'un projet professionnel : un jardin qui a concouru au Festival de Chaumont-sur-Loire (41) 2015.

Claire Dugard et Christelle David sont paysagistes, chacune à leur compte depuis peu. Alors qu'elles travaillaient ensemble dans la même agence, elles ont postulé au Festival de Chaumont-sur-Loire (41). Leur réalisation, le jardin « Porte-Bonheur », préfigure le type de projets qu'elles souhaitent développer à l'avenir, en commun ou en équipes pluridisciplinaires.

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Claire Dugard, architecte, et Christelle David, architecte paysagiste, ont réussi, à leur troisième tentative, leur entrée au Festival des jardins (ouvert jusqu'au 1er novembre 2015) de Chaumont-sur-Loire (41) parmi quelque 300 candidatures. Cette année, elles ont donc présenté leur création, « Porte-Bonheur », à savoir un jardin qui met en scène des trèfles dont certains à quatre feuilles. La première fois, elles avaient postulé avec des tomates, mais leur jardin n'aurait, a priori, pas été assez pérenne pour tenir toute la saison d'ouverture. Et la deuxième fois, elles avaient participé en présentant un hôtel à insectes géant dans le cadre du thème de la biodiversité. « Le concours est un exercice très stimulant dans la vie des concepteurs. Sans les échanges avec le commanditaire qui pourraient "brider" les réflexions, nous sommes libres d'aller au bout de notre concept. De plus, le côté événementiel et les thématiques proposées chaque année par le domaine de Chaumont-sur-Loire ont un aspect très ludique qui change de notre quotidien professionnel », affirment les jeunes femmes. « Concourir à une telle compétition internationale est un très bon exercice concret d'application et de démonstration de nos compétences. Il faut faire aboutir une idée, depuis sa conception jusqu'à sa mise en oeuvre, passer par les plans, penser aux visuels, défendre son idée devant un jury international, puis devant la presse et le public. Nous appliquons ici notre travail de conceptrices. Nous imaginons un aménagement en cohérence avec le thème proposé, nous façonnons un projet, gérons le planning et le budget attribué par le domaine. Habituellement, dans notre travail, lorsque nous répondons à des appels d'offres, les cahiers des charges sont déjà précis et l'aspect contractuel et pérenne des projets en architecture du paysage laisse moins de place à la fantaisie. »

Complémentarité

LE VÉGÉTAL AU CŒUR D'UNE ASSOCIATION, D'UN PROJET

Claire Dugard relate leur rapprochement autour du végétal : « Je suis de formation architecte, issue de l'école d'architecture de Lyon (69), - j'ai obtenu mon diplôme d'architecte DPLG en 2003 -, et Christelle David, ma collègue pour ce jardin est, quant à elle, issue d'une école du paysage à Gembloux, en Belgique. C'est donc elle qui connaît le mieux les plantes d'ornement et la botanique. Nous sommes complémentaires sur ce projet à Chaumont-sur-Loire, le concept et les essences proposées formant un tout incompressible. Nous nous sommes rencontrées en 2005 quand nous travaillions en même temps dans une agence de paysage à Lyon (69). Nous sommes devenues amies. C'est là que nous avons commencé à postuler au festival. Nous sommes restées environ cinq années dans cette agence avant d'intégrer chacune de nouvelles structures. Pour ma part, c'est surtout au sein de trois agences du paysage que j'ai peaufiné mes connaissances sur les végétaux. À l'heure actuelle, c'est très utile d'avoir ce regard sur le paysage, car trop souvent, dans le raisonnement de nombreux projets, le végétal est un peu considéré comme "la dernière roue du carrosse", avec un manque d'approche purement relative au terrain. Aujourd'hui, je suis installée à mon compte et j'essaie de marquer ma différence, de ne pas tomber dans cette impasse en prenant mieux en compte la mise en place de végétaux dans mon travail d'architecte. Nous avons un rôle à jouer, en particulier dans les dossiers de grande envergure où la plante est un des éléments qui participent à la vie. Mais c'est un challenge d'intervenir sur le vivant ; il peut réserver de mauvaises surprises et on se heurte parfois à des problèmes d'adaptation. La connaissance et le choix des essences appropriées à un lieu sont primordiaux, et participent à la richesse botanique dans une étude de conception. Ils contribuent à son évolution au fil des saisons et des années. Mais nous nous confrontons souvent à des exigences fortes de la part des clients qui ne veulent pas de feuilles qui tombent, pas de taille d'entretien, pas de tonte... Par chance, la variété est telle qu'il est toujours possible de trouver des aménagements pour pourvoir concilier l'ensemble. À présent, nous ne conseillons plus de jardins à la française, lesquels demandent beaucoup d'entretien... Le principe de gestion différenciée nous permet de proposer, sur un même site, des espaces qui donnent la possibilité d'intervenir différemment, comme le remplacement de la tonte hebdomadaire par un fauchage annuel. »

Claire Dugard

DE LA BELLE AFFAIRE À L'ATELIER DES POSSIBLES

Claire Dugard explique comment s'est déroulée son installation : « Depuis 2011, je me suis établie à mon compte et j'ai créé l'atelier La Belle Affaire, situé dans le IIe arrondissement de Lyon. L'idée d'être un jour à mon compte a toujours été présente. Mais la maturation du projet et la création de l'entreprise ont pris un an. Trouver un nom, se renseigner sur la partie administrative, entretenir son réseau et chercher du travail pour pouvoir démarrer. La formation assurée par les écoles d'architecture apporte une bonne méthodologie quant à la gestion d'un projet pour le mener à bien (capacités d'analyse, esprit de synthèse, définition d'enjeux et mise en forme du projet...). Cependant, lorsque je suis sortie de l'école, il me manquait l'approche concernant le travail de chantier (établir un planning de travaux, rédiger un compte-rendu de chantier, assurer le suivi financier des travaux...). À mon avis, il serait bon d'avoir aussi un module spécifique à la création d'entreprise pour appréhender les différents statuts (libéral, SA, EURL...), le fonctionnement d'une comptabilité, répondre à des appels d'offres... La pratique professionnelle nous met assez vite dans le bain, avec de l'organisation et de la rigueur. Être à la tête de son entreprise devient possible. La mienne a été créée à la fin d'un CDD. Rattachée au Pôle emploi, j'ai pu profiter de l'ACRE (aide à la création ou à la reprise d'entreprise) qui correspond à une partie de la rémunération de l'indemnité chômage. Mon dernier employeur et les partenaires techniques avec lesquels je travaillais comme salariée m'ont permis d'avoir une certaine charge de travail pour démarrer via des propositions de cotraitance. »

Claire a profité de l'indemnité chômage pour investir dans un ordinateur, une imprimante, un casque de chantier, quelques fournitures et elle était opérationnelle. « J'ai ensuite fondé, avec d'autres architectes, L'Atelier des Possibles. Il s'agit d'un collectif de quatre professionnels. Nous avons pris un local, mutualisé nos moyens et surtout nos références. Nous répondons ensemble aux appels d'offres. Cela donne plus de poids à nos candidatures. Au quotidien, nous pouvons échanger techniquement sur les projets, s'entraider. C'est très positif. »

Christelle David

LA NAISSANCE DE L'ATELIER DU TRÈFLE

Christelle David, quant à elle, a quitté sa dernière entreprise au début 2015 pour se mettre à son compte à Lyon. L'Atelier du Trèfle (le nom de sa société) est né à la suite de l'arrêt de son dernier contrat. Il s'agit d'un clin d'oeil au jardin de trèfles intitulé "Porte-Bonheur" que les deux femmes ont réalisé au Festival de Chaumont-sur-Loire. « Comme pour Claire, j'ai toujours eu l'idée dans un coin de ma tête qu'un jour, peut-être, je m'installerai. Le fait d'avoir été retenue pour réaliser un jardin à Chaumont-sur-Loire a été l'élément déclencheur : j'ai donc tout naturellement franchi le pas », explique Christelle David.

Son parcours professionnel est issu des écoles d'horticulture Tecomah et Le Breuil, puis de l'école du paysage de Gembloux, où elle a obtenu son diplôme d'architecte paysagiste en 2002. « Depuis, j'ai travaillé dans des agences parisiennes avant de quitter la capitale pour Lyon. J'exerce mon métier en tant que maître d'oeuvre en aménagement urbain à travers le territoire national. Ma formation de base m'a donné les clés. L'expérience professionnelle à travers des structures de tailles variées m'a permis d'acquérir les connaissances complémentaires (gestion, management, activité commerciale) qui ne sont pas forcément dispensées à l'école. »

La création de L'Atelier du Trèfle a pris environ six mois. Cette période a été menée de front avec la réalisation du jardin à Chaumont-sur-Loire. « J'ai été guidée dans ma démarche par un cabinet de consultant spécialisé dans la création d'entreprise pour m'aider dans le processus de montage de société, que ce soit sur les sujets administratifs, juridiques et financiers », poursuit Christelle David. « L'investissement financier est minime pour mon type de structure. Il faut prévoir le dépôt de capital pour la société et les frais de création (création des statuts, greffe du tribunal, annonce légale...). Ensuite, l'aventure débute avec des idées plein la tête pour développer la structure. Mais il faut canaliser ses idées car créer son entreprise est un travail de rigueur où l'on ne compte pas ses heures. Aujourd'hui, je débute ma vie de jeune chef d'entreprise avec des réponses aux appels d'offres en équipe pluridisciplinaire et j'ai également quelques projets en sous-traitance avec mon ancien employeur. En parallèle, je suis en cours de travail sur la communication de ma société via un site internet (www.atelierdutrefle.fr) et le référencement sur des sites dédiés à l'architecture, à la décoration et au paysage. »

Claire Dugard et Christelle David envisagent de répondre de nouveau à des concours ensemble, de même type que celui de Chaumont-sur-Loire « afin de [se] sortir de [leur] quotidien car la créativité se nourrit de nouvelles expériences ». Pour le moment, elles pensent au minimum à Lausanne jardins, en Suisse...

Odile Maillard

Pour en savoir plus : - http://atelier-labelleaffaire.tumblr.com/ - www.atelierdespossibles.com

Dans leur jardin « Porte-Bonheur », à Chaumont-sur-Loire 2015, les deux paysagistes ont rassemblé et présenté une collection de dix-sept Trifolium et Oxalis.

Un trèfle noir bordé de vert qui n'est pas encore baptisé.

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